Fanfani Amintore

Publié le par Roger Cousin

Amintore Fanfani, né à Pieve Santo Stefano le 6 février 1908 et décédé à Rome le 20 novembre 1999, est un homme d'État italien. Membre de la Démocratie Chrétienne, il fut l’une des plus importantes figures politiques de l'après-guerre. Président du Conseil à cinq reprises, restant plus de quatre ans au total à cette fonction, il assuma, par ailleurs, la présidence du Sénat. 

Fanfani Amintore

Fanfani naquit à Pieve Santo Stefano, dans la province d'Arezzo, en Toscane, dans une famille nombreuse et modeste. Il obtint ue licence en économie et commerce en 1932, à l’Università Cattolica del Sacro Cuore à Milan. Il fut l’auteur d’un nombre important de travaux sur l’histoire économique, traitant des rapports entre la religion et le développement du capitalisme durant la Renaissance et la Réforme, en Europe. Cette thèse fut publiée en italien, puis traduite en anglais, sous le titre Catholicism, Capitalism and Protestantism, en 1935. Il rejoignit le Parti fasciste, soutenant les idées corporatistes du régime, favorable à une collaboration entre les classes, qu’il défendit depuis longtemps dans de nombreux articles. « Un jour », a-t-il écrit, « le continent européen sera organisé en une vaste région supranationale guidée par l’Italie et l’Allemagne. Les pays de cette région prendront des gouvernements autoritaires et synchroniseront leurs constitutions avec les principes fascistes. ». En 1938, il fut l’un des 330 signataires d'une pétition journalistique en appui du Manifeste de la race aboutissant à des lois raciales qui ont déchu les Juifs italiens de leur nationalité et leur ont interdit de nombreuses professions.

Durant son séjour à Milan, il fit la connaissance de Giuseppe Dossetti et Giorgio La Pira. Ces trois compères formèrent un groupe baptisé « Les petits professeurs », vivant en ascèses dans des cellules monacales et pieds nus. Ils furent le noyau fondateur d’Initiative Démocratique, l’aile catholique et réformatrice de la Democrazia Cristiana, au lendemain de la guerre, organisant des réunions pour débattre du catholicisme et de la société. Après la reddition de l’Italie face aux forces alliées, le 8 septembre 1943, ce groupe s’éparpilla. Ayant prêté service militaire en 1932 et 1933 en tant que sous-lieutenant de complément, en 1943 il est promu capitaine et rappelé aux armes. Jusqu’à la Libération, en avril 1945, Fanfani, évitant ainsi d’être obligé de combattre avec l'armée de la République de Salò, s’exila en Suisse, où il organisa des cours universitaires pour les réfugiés italiens. À son retour en Italie, il fut élu vice-secrétaire de la Démocratie Chrétienne, une formation fondée clandestinement en 1942 par des anciens ténors du Parti Populaire dissout par le fascisme en 1926. Il fut l’un des plus jeunes dirigeants de la DC, et un protégé d’Alcide De Gasperi, chef incontesté du parti durant une décennie. Fanfani représentait une position idéologique particulière, celle d’un conservateur catholique défendant l’interventionnisme socio-économique ; une position idéologique très influente dans les années 1950 et 1960, mais qui, par la suite, se trouvera fragilisée par son isolement.

«Le capitalisme nécessite une telle crainte de la ruine », a-t-il écrit ; « une telle négligence de la fraternité humaine, une telle certitude que son voisin est avant tout un client à gagner ou un rival à battre, et tout ceci est inconcevable dans la conception catholique… Il y a un gouffre infranchissable entre les conceptions catholique et capitaliste de la vie. ». Les initiatives économiques privées étaient, de son point de vue, justifiables seulement si elles allaient dans le sens de l’intérêt commun. Élu à l'Assemblée constituante en 1946, Fanfani fut l’un des membres de la Commission qui a rédigé le texte de la Constitution de la nouvelle République italienne. Le premier article de la Constitution reflète bien la philosophie de Fanfani : « L’Italie et une République démocratique fondée sur le travail. » En 1948, il fut élu à la Chambre des députés italienne, représentant la circonscription de Sienne, jusqu’en 1968.

Sous De Gasperi, Fanfani enchaîna les ministères. Il occupa les fonctions de ministre du Travail entre 1947 et 1948, puis de nouveau de 1948 à 1950 ; ministre de l’Agriculture de 1951 à 1953 ; et également ministre de l’Intérieur en 1953 dans le gouvernement de Giuseppe Pella. En tant que ministre du Travail, il développa un programme baptisé « INA-Casa », ou « Maison de Fanfani », un programme gouvernemental de construction de 355 000 logements de propriété pour 2 millions d'habitants, destinés aux travailleurs au revenu modeste, sous la gestion de l'INA, une société d'assurance dont l'actionnariat appartient à l’État. Il permit également à 200 000 chômeurs italiens de retrouver du travail en lançant un programme de reforestation. En tant que ministre de l’Agriculture, il mobilisa la plupart des démocrate-chrétiens derrière un programme de réforme agraire.

« Il peut passer 36 heures en faisant juste un petit somme, en mangeant quelques pommes et en buvant quelques gorgées d’eau », écrivit un reporter du Time Magazine. Une fois, lorsque l'un des conseillers de De Gasperi lui conseilla de nommer Fanfani dans un autre ministère, celui-ci refusa : « Si je continue à nommer Fanfani dans différents ministères, je suis sûr qu’un de ces jours, j’ouvrirai la porte de mon bureau et je trouverai Fanfani assis à ma place », a-t-il répondu. Après le retrait de De Gasperi en 1953, Fanfani fut considéré comme son héritier naturel, ce qui a été confirmé par sa nomination au secrétariat de la, DC en 1954, un poste stratégique qu’il conserva jusqu’en 1959. Il orgisa de nouveau la direction nationale du parti, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis de l’Église et du gouvernement qui caractérisa le parti du temps de De Gasperi.

Cependant, son activisme et son style, parfois autoritaire, ainsi que sa réputation de réformateur économique, lui valurent d’être perçu avec méfiance par les modérés de la DC, qui s’opposaient à l’intervention de l’État dans la vie économique du pays. Son énergie inépuisable et sa passion pour l’efficacité lui permirent d’aller loin en politique, et de tenter toute réforme possible. « Fanfani a des collègues, des associés, des connaissances et des subordonnés », remarqua un jour un politicien, « mais je n’ai jamais entendu parler de ses amis. ». Suite à la disparition de De Gasperi, en 1954, le poids politique de Fanfani, à la fois dans le parti et dans le gouvernement, fut à son apogée. Il assuma le titre de président du Conseil dans plusieurs Cabinets, parfois éphémères. La première fois, en 1954, il durant 21 jours, ayant échoué à être confirmé par le Parlement. Il avait alors nommé Giulio Andreotti, 35 ans, un autre protégé de De Gasperi, au ministère de l’Intérieur, qui avait pour mission de prendre des mesures contre la subversion communiste.

Il accepte de nouveau la présidence du Conseil, et dirigea le gouvernement jusqu’en janvier 1959, quand ses tactiques de rouleau compresseur lui coûta le soutien de ses propres alliés démocrates-chrétiens. Il appris de cette expérience et devint alors un homme de la coopération et du compromis. Du 20 juillet 1960 au 21 juin 1963, il fut président du Conseil, et dirigea deux gouvernement successifs, avec l'abstention d'abord du Parti socialiste italien (PSI), permettant ainsi au centre-gauche d’être aux portes du pouvoir pour la première fois en Italie depuis leur sortie du gouvernement le 31 mai 1947. Il fut longtemps l’un des principaux promoteurs d’une telle ouverture au centre-gauche. L’opportunité s’est présentée quand le pape libéral Jean XXIII fut élu en 1958, et que les socialistes ont rompu leurs liens avec les communistes. En février 1962, il remania son gouvernement, s’arrangeant pour obtenir le soutien explicite du secrétaire du PSI, Pietro Nenni.

En 1961, Fanfani nomme à la direction générale de la RAI son homme de confiance Ettore Bernabei (en), qui demeurera en poste jusqu'à 1975. Le 6 décembre 1962, à la demande des socialistes et des républicains, son gouvernement nationalise la production et la distribution de l’énergie électrique et créé l'ENEL. Toutefois, la réforme de la loi générale d'urbanisme entamée en 1962 par le ministre des Travaux publics Fiorentino Sullo, issu de la gauche démocrate-chrétienne, échoue suite à l’obstructionnisme de l'aile modérée de son parti et même suite à une campagne de presse diffamatoire. Mais son influence et son pouvoir incontestable qu'il exerça sur la plupart de ses ministres le rendirent soudainement isolé. Il passa, en conséquence, le relais à un gouvernement transitoire dirigé par l'ancien président de la Chambre des députés Giovanni Leone, qui le sera remplacé le 4 décembre 1963 par le Cabinet de coalition dirigé par Aldo Moro, le premier avec des ministres socialistes depuis 1947.

Fanfani échoua dans sa tentative d’être élu président de la République par le Parlement italien en 1964, et resta à l’arrière-plan dans la vie politique du pays durant la majeure partie des années 1960. Fervent partisan de la Communauté économique européenne (CEE), Fanfani occupa la fonction de ministre des Affaires étrangères en 1965, puis entre 1966 et 1968. Il fut, par ailleurs, de 1965 à 1966, président de l’Assemblée générale des Nations Unies ; il reste, à ce jour, le seul Italien à avoir assumé ce titre. En décembre 1971, de nouveau candidat à la présidence de la République, il échoua suite au désistement de bien nombre de ses amis politiques. En guise de consolation, le 10 mars 1972 il fut nommé sénateur à vie par le tout nouveau président de la République Giovanni Leone, alors que cela faisait déjà quatre ans qu'il siégeait au palais Madama en tant que sénateur.

Président du Sénat italien de 1968 à 1973, il devint de nouveau le secrétaire de la DC le 17 juin 1973 suite à un accord (autrement dit : les accordi di Palazzo Giustiniani, le palais Giustiniani à Rome étant la résidence officielle du président du Sénat) entre l'aile modérée du parti et le très influent chef de file de la gauche démocrate-chrétienne Aldo Moro. À ce titre, au printemps 1974, il mena la campagne du référendum portant sur l’abrogation de la loi sur le divorce, en faveur du « oui », dans un style typiquement combatif, s’aliénant inutilement les groupes pro-divorce, sans obtenir pour autant la victoire qui aurait pu lui permettre de gagner une position dominante à l’intérieur de son parti. Très affaibli par l'affirmation écrasante du « oui » à l'abrogation de la loi sur le divorce, suite à la défaite de son parti aux élection régionales du 20 juin 1975, il démissionna de ses fonction de secrétaire la de la DC, le 24 juillet 1975. Le 14 avril 1976 accepta la fonction purement honorifique de président du parti, qu'il quitta deux mois et demi après avoir été élu président du Sénat 5 juillet 1976, donc le second personnage de l’État. Vers la fin de sa carrière, il ne cache plus son éternelle ambition de devenir président de la République ; cependant, malgré l’investiture formelle de son parti en décembre 1971, il n’est jamais parvenu à obtenir un nombre de voix suffisant devant le collège électoral du Parlement pour se faire élire chef de l'État.

Du 1er décembre 1982 au 4 août 1983, Fanfani retrouva la présidence du Conseil pour une cinquième fois. Le 9 juillet 1985, il est à nouveau élu à la présidence du Sénat, qu'il quitte en avril 1987 pour diriger le gouvernement une sixième et ultime fois. Mais n'ayant pas été investi par la Chambre des députés, il dût se contenter de gérer les affaires courantes durant la campagne pour l'élection du nouveau parlement et jusqu'à la constitution d'un nouveau gouvernement le 28 juillet 1987. Nonobstant son grand âge, il fut ministre de l’Intérieur du 28 juillet 1987 au 13 avril 1988 et ministre du Budget et de la Programmation économique du 13 avril 1988 au 22 juillet 1989. Enfin, entre 1994 et 1996, il présida la prestigieuse commission des Affaires étrangères du Sénat.

Fanfani décéda à Rome le 20 novembre 1999. Il avait considéré l’État corporatiste comme un idéal, et s’était tourné vers le fascisme, ce qu’il avait qualifié d’« aberration temporaire ». Il n’a jamais essayé de cacher son passé fasciste, mais contrairement à nombre de ses compatriotes, il avait publiquement admis que cela avait été une erreur. Il a occupé quasiment toutes les fonctions auxquelles un homme politique peut aspirer, sauf celle qui lui tenait le plus à cœur : président de la République. Le système de factions de la DC a été le plus gros obstacle à ses ambitions et à l’émergence d’un courant véritablement puissant fondé sur sa personne, qui aurait pu être la version italienne et atténuée de ce que fut le gaullisme en France. Pour Robert Poujade, Amintore Fanfani a été « le plus gaulliste des hommes d’État italiens ».

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article