Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Revue de presse de l'Histoire - La Seconde guerre mondiale le cinéma les acteurs et les actrices de l'époque - les périodes de conflits mondiales viètnamm corée indochine algérie, journalistes, et acteurs des médias

Delbo Charlotte

Charlotte Delbo, née le 10 août 1913 à Vigneux-sur-Seine et morte le 1er mars 1985 à Paris, est une écrivaine française, femme de lettres, engagée dans la Résistance intérieure française, qui a vécu la déportation. Une grande partie de son œuvre littéraire, à l'égal de celles de Robert Antelme et de Primo Levi, témoigne de ce qu'elle a vu et vécu dans les camps d'Auschwitz-Birkenau et de Ravensbrück. Communiste, issue d'une famille d'immigrés italiens, elle travaille avant la guerre comme assistante du metteur en scène Louis Jouvet. Elle s'engage en 1941 dans la Résistance avec son mari Georges Dudach qui sera arrêté avec elle et fusillé en 1942. Elle est déportée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943 — « le convoi des 31 000 — » qui comprend 230 femmes. Elle sera l'une des 49 rescapées de ce convoi qui compte principalement des déportées politiques. Pendant sa déportation, elle décide qu'à son retour, elle écrira le témoignage de ce qu'elles ont vécu, lequel est publié en 1965 sous le titre Aucun de nous ne reviendra. Revenue des camps, elle publie une œuvre marquée par sa déportation et garde une activité militante importante, s'engageant par exemple contre la guerre menée par la France pour garder l'Algérie française, en soutenant les "porteurs de valises". 

Delbo Charlotte
Origines et formation

Aînée des quatre enfants d'une famille d'immigrés italiens, Charlotte Delbo est la fille d'un chef monteur-riveteur. Elle adhère en 1932 aux Jeunesses communistes puis en 1936 à l'Union des jeunes filles de France fondée par Danielle Casanova. Elle est scolarisée jusqu'à l'âge de seize ans. Si elle n'a jamais obtenu le baccalauréat, elle étudie la philosophie avec Henri Lefebvre de 1930 à 1934 et suit des cours dans le cadre de l'Université ouvrière. Elle suit notamment les cours d'économie politique dispensés par Jacques Solomon et les cours de philosophie de Georges Politzer. C'est à l'Université ouvrière qu'elle rencontre en 1934 son futur mari, le militant communiste Georges Dudach (qui, formé à Moscou, deviendra un « véritable agent » communiste), qu'elle épouse en 1936. Ayant une formation de secrétaire (sténo-dactylo bilingue en anglais), Charlotte Delbo commence à écrire en 1937 pour le journal communiste Les Cahiers de la jeunesse. La même année, elle y réalise une interview de Louis Jouvet, et, comme elle l'a prise en sténo puis retranscrite au mot près, il décide d'en faire sa secrétaire. Elle a notamment la charge de transcrire ses cours aux étudiants du conservatoire. Parlant anglais, italien, espagnol et un peu allemand, elle est chargée des relations du théâtre de l'Athénée avec l'Occupant. 

Résistance et arrestation

Pendant l'Occupation, après avoir hésité, elle part avec Louis Jouvet et la troupe de l'Athénée en Amérique du Sud en mai 1941 pour une tournée sous l'égide du gouvernement de Vichy. Alors qu'elle se trouve à Buenos-Aires en septembre 1941, elle apprend, que Jacques Woog, un jeune architecte de ses amis, (arrêté en avril 1941 chez lui en possession de tracts contre les nazis) a été guillotiné. Il ne risquait pas la peine de mort au moment de son arrestation, mais il a été condamné à mort par le tribunal spécial créé en août 1941 par Philippe Pétain pour juger des « terroristes ». Malgré l'insistance de Louis Jouvet qui fait tout pour la persuader de rester, elle décide de rejoindre son mari en France et d'entrer dans la Résistance clandestine. Elle revient donc à Paris le 15 novembre 1941. Georges Dudach est notamment chargé d'entretenir les liens avec Louis Aragon, réfugié en zone libre. Avec Charlotte Delbo, ils font partie du « groupe Politzer », chargé de la publication des Lettres françaises dont Jacques Decour est rédacteur en chef. 

Charlotte Delbo est chargée de l'écoute de Radio Londres et de Radio Moscou qu'elle prend en sténo ainsi que de la dactylographie des tracts et revues. Charlotte Delbo et son mari sont arrêtés le 2 mars 1942 au 93 rue de la Faisanderie (16e arrondissement de Paris) par les Brigades spéciales, lors de la série d'arrestations qui visent le mouvement intellectuel clandestin du Parti communiste français. Le couple ne sortait jamais en même temps et les Brigades spéciales ne s'attendent pas à trouver aussi son épouse. Lors de leur arrestation, Pierre Villon, qui se trouvait avec eux, réussit à s'échapper par la fenêtre de la salle de bain avant que les hommes des Brigades spéciales ne s'aperçoivent de sa présence. Dans la même série de rafles sont aussi pris Maï et Georges Politzer, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Jacques Decour ou Jacques Solomon et Hélène Solomon-Langevin

Emprisonnement et déportation

Les hommes du groupe subissent des tortures. Les femmes sont « relativement épargnées » jusqu'au 29 avril 1942 où elles sont remises à la Gestapo et fichées Nuit et brouillard. Georges Dudach est fusillé au fort du Mont-Valérien le 23 mai 1942, à l'âge de 28 ans. D’abord incarcérée à la prison de la Santé, à Paris, Charlotte Delbo est transférée au fort de Romainville pendant un an. C'est là qu'elle rencontre certaines des femmes avec qui elle sera déportée et qui seront ses compagnes à Auschwitz, notamment Vittoria Daubeuf, la fille de Pietro Nenni, et Yvonne Picard. Elle passe par le camp de Compiègne pour être immédiatement déportée, par le convoi du 24 janvier 1943 un convoi de 230 femmes qui viennent de toute la France et sont issues de différentes classes sociales. Il s'agit du seul convoi de déportées politiques françaises envoyé à Auschwitz. Beaucoup d'entre elles sont communistes et se trouvent aussi dans ce convoi Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova et s'ajoutent à ces détenues politiques quelques « droit commun » et quelques erreurs judiciaires.

Le train arrive le 27 janvier 1943 à Auschwitz-Birkenau. Les femmes entrent dans le camp en chantant La Marseillaise. Elles portent au camp l'uniforme rayé et le triangle rouge qui est la marque des prisonniers politiques. Elle sera l’une des 49 femmes rescapées de ce convoi et portera, le reste de sa vie, le numéro 31 661 tatoué sur le bras. Cette proportion de rescapées plus importante que dans d'autres convois peut s'expliquer par les incohérences de la politique d'Auschwitz, par le fait que des personnalités connues s'y trouvaient et qu'il aurait pu être gênant de les tuer toutes, mais aussi par la forte solidarité qui s'est développée dans ce groupe de femmes et parce qu'étant en majorité des résistantes, elles avaient parfois été formées à combattre et s'étaient déjà confrontées à l'idée de risquer de mourir pour leurs idées.

Charlotte Delbo estime qu'elle a survécu en particulier grâce aux poèmes qu'elle passe beaucoup de temps à chercher à se remémorer par un important effort de mémoire (elle arrivera à en « reconstituer » 57) et les textes de théâtre qu'elle est capable de se rappeler (notamment Le Misanthrope et Ondine) ainsi que par les souvenirs de sa vie d'avant et le dialogue avec les autres déportées. Elle déclarera en 1974 que, malgré l'aspect horrible du camp de concentration dont « aucun animal ne serait revenu », elle considère qu'elle a « appris là [...] quelque chose qui n'a pas de prix » : le courage, la bonté, la générosité, la solidarité et que cela lui a donné une « très grande confiance dans son semblable. » Elle et ses compagnes de déportation ont l'obsession qu'au moins l'une d'elles revienne afin de témoigner de ce qui leur est arrivé. C'est donc pendant sa déportation qu'elle décide que, si elle survit, elle écrira un livre pour témoigner de ce que ces femmes ont vécu, dont elle choisit déjà le titre : Aucun de nous ne reviendra, d'après un vers de Guillaume Apollinaire

Selon elle, ce vers correspond exactement à ce qu'elle a éprouvé, et, sans doute, à ce que chacun a éprouvé, en arrivant au camp. Elle a déclaré qu'elle prévoyait déjà, à cette époque, de ne le publier qu'après une vingtaine d'années car elle souhaitait que ce ne soit pas simplement un témoignage mais bien une « œuvre » et que pour ce faire il faudrait qu'elle le revoie vingt ans après l'avoir écrit. En outre elle se doute qu'après la guerre, les privations qu'aura connues la population française feront qu'elle sera centrée sur elle-même sans pouvoir s'intéresser au malheur « lointain » de ces déportées, et qu'elles seront « dans la situation de celui qui, mourant d'un cancer, essaye d'attirer l'attention de celui qui a une rage de dents ». Elle est envoyée à Ravensbrück parmi un petit groupe de huit, le 7 janvier 1944. Elle réussit à y organiser des représentations de pièces de théâtre dont elle reconstitue le texte de mémoire. 

Après guerre

Libérée par la Croix-Rouge le 23 avril 1945, elle est rapatriée en France le 23 juin 1945 en passant par la Suède. Elle sera homologuée adjudant-chef dans la R.I.F. Elle apprend à son retour la mort de son plus jeune frère, F.F.I., lors du passage du Rhin le 9 avril 1945. Elle reprend son travail auprès de Louis Jouvet dont les représentations recommencent à Paris fin décembre 1945. Elle souffre de dépression et d'idée suicidaires pendant quelques mois. En 1946 elle est hospitalisée en Suisse pour soigner aussi bien ses problèmes de santé (notamment cardiaques) que sa dépression. Elle commence à rédiger Aucun de nous ne reviendra, d'une traite assez rapide et sans plan, environ six mois après son retour, dès qu'elle est en meilleure santé, sur un cahier à spirale. Elle range le manuscrit remis au net et l'emportera pendant des années avec elle dans tous les voyages qu'elle fait. Elle cesse de collaborer avec Jouvet en avril 1947. Elle travaille ensuite pour l’ONU à Genève comme secrétaire des communications permanentes puis, à partir de 1961, au CNRS, avec le philosophe Henri Lefebvre qui avait travaillé avec Georges Politzer avant guerre.

Elle fait un séjour dans une maison de repos en Suisse et commence à écrire des récits et des poèmes sur sa déportation qu'elle vend à des journaux genevois. Sa personnalité après la guerre se caractérise par un « bonheur de vivre » et un caractère épicurien, comme si, après avoir frôlé la mort, elle jouissait pleinement du reste de sa vie et souhaitait profiter « du moindre moment ». Elle est très gaie et est connue pour son goût pour le champagne. Durant la Guerre d'Algérie, elle se situe clairement dans l'opposition à cette guerre, la dénonciation de la torture et le soutien aux insoumis et « porteurs de valises » du réseau Jeanson. Elle publie une série de correspondances sur ce thème dans Les Belles lettres aux éditions de minuit (1961). « Alors qu'auparavant, l'indignation explosait en manifestations et en actions collectives..., elle n'a plus aujourd'hui le moyen de s'exprimer... Il n'y a plus de vie politique... Privé d'autres moyens d'agir on écrit des lettres. »

Vingt ans après l'avoir écrit, elle propose à un éditeur le manuscrit d'Aucun de nous ne reviendra13. Le livre est publié en 1965. Selon son ami le critique littéraire François Bott, il semble qu'elle ait réagi à l'idée d'Adorno selon laquelle aucune poésie ne serait possible après Auschwitz, en disant que si la poésie ne sert précisément pas à faire ressentir Auschwitz, celle-ci était alors inutile. Elle estime qu'après ce qu'elle a vécu à Auschwitz, « elle ne risqu[e] rien » et n'a pas peur de prendre des engagements qui peuvent faire scandale : le suicide de membres de la Bande à Baader dans les années 1970 (et la polémique qui s'ensuit, des militants considérant que ces terroristes avaient en fait été assassinés) la choque au point qu'elle n'hésite pas à écrire une tribune dans Le Monde pour soutenir la Bande à Baader en déclarant que si des terroristes avaient réussi à tuer Adolf Hitler et Benito Mussolini lors d'une de leurs rencontres, elle n'aurait pas été déportée.

En 1979, elle visite un village de la péninsule grecque du Péloponnèse, Kalavrita, lieu d'une tragédie. En effet, c'est le lieu où, en décembre 1943, après avoir enfermé femmes et enfants, les troupes de l'armée nazies fusilleront tous les hommes en représailles à la mort de 81 soldats. Charlotte Delbo en tire une nouvelle, Kalavrita des mille Antigone, qui célèbre la noblesse de ces paysannes acharnées à ériger un mausolée à la mémoire de leurs morts, pareilles à Antigone renonçant jusqu’à la vie pour donner une sépulture à l’un de ses frères. Elle n'a pas eu d'enfant et n'aurait jamais souhaité en avoir. Elle meurt d'un cancer du poumon en 1985. Ses derniers mots, adressés à sa meilleure amie sont « Tu leur diras, toi, que j’ai eu une belle vie. » 

Delbo Charlotte
Publications

Essais, enquêtes, souvenirs et poèmes

  • Les Belles Lettres, Les Éditions de Minuit, 1961 ; rééd. 2012 (ISBN 9782707304742)
  • Le Convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965, 1978, 1995.
  • Auschwitz et après, 3 tomes :
  • Aucun de nous ne reviendra, Editions Gonthier SA Genève, collection Femmes, publiée sous la direction de Colette Audry. 1965.
  • Aucun de nous ne reviendra, Réédition: Les Éditions de Minuit, 1970, 1979, 1995.
  • Aucun de nous ne reviendra, livre audio, coll. La Bibliothèques des voix, Éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2017. (Coup de cœur 2017 de la parole enregistrée de l'Académie Charles Cros ; Grand Prix du livre audio, catégorie Contemporain, de La plume de Paon)
  • Une connaissance inutile, Les Éditions de Minuit, 1970.
  • Mesure de nos jours, Les Éditions de Minuit, 1971, 1994.
  • Spectres, mes compagnons, Maurice Bridel, Lausanne, 1977 ; rééd. Berg international, Paris, 1995.
  • La Mémoire et les Jours Paris, Berg International, 1985 ; réed. 1995.

Théâtre

  • La Théorie et la Pratique, Anthropos, Paris, 1969.
  • La Sentence, pièce en trois actes, P.-J. Oswald, 1972.
  • Qui rapportera ces paroles ?, tragédie en trois actes, P.-J. Oswald, Paris, 1974. Texte paru en première édition en 1974 aux éditions Jean-Pierre Oswald et radiodiffusé sur France Culture le 24 mai 1975, dans une réalisation d'Alain Barroux. Création de la pièce, le 11 mars 1974, à Paris, au Théâtre Cyrano (actuel théâtre de la Bastille dans le 11e arrondissement)85. Réédition avec Une scène jouée dans la mémoire, pièce en un acte. Introduction et postface de Cécile Godard. HB Editions, Aigues-Vives, 2001 (ISBN 2-911406-92-3)
  • Maria Lusitania, pièce en trois actes, et le coup d'État, pièce en cinq actes, P.-J. Oswald, Paris, 1975.
  • La Ligne de démarcation et La Capitulation, P.-J. Oswald, Paris, 1977.
  • Les Hommes, pièce publiée par Thierry Bouchard dans la revue Théodore Balmoral no 68 en juin 2012.
  • Ceux qui avaient choisi, pièce en deux actes, Les provinciales, Saint-Victor, 2011.
  • Charlotte Delbo. Qui rapportera ces paroles? et autres inédits, Paris, Fayard, 2013 (ISBN 978-2-213-67253-3)

Textes et entretiens parus en revue

  • Lily, nouvelle parue dans la revue mensuelle Suisse: Annabelle. n°63, mai 1946.
  • L'ours en peluche nouvelle parue dans la revue mensuelle Suisse: Annabelle. n°70, décembre 1946.
  • Lily, p.1 et Entretien avec Charlotte Delbo p.41, dans La Nouvelle Critique, revue du marxisme militant. n°167 juin 1965: La déportation dans la littérature et l'art.
  • Les leçons de Jouvet, p.561, dans La Nouvelle Revue Française (NRF). 1er mars 1966. 14e année. n°159.
  • À une Judith, et Une scène jouée dans la mémoire textes publiés par Thierry Bouchard dans Théodore Balmoral, no 22/23 (automne-hiver 1995).
  • Les Hommes, pièce publiée par Thierry Bouchard dans Théodore Balmoral, no 68 (Je suis dans un café, Printemps-Été 2012) précédé d'une présentation de Magali Chiappone-Lucchesi, Une vérité de théâtre.
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article