Bonaparte Marie

Publié le par rodney42

Bonaparte MarieLa princesse Marie Bonaparte (2 juillet 1882, à Saint-Cloud – 21 septembre 1962, à Saint-Tropez), écrivain, est une pionnière de la psychanalyse en France. Fille de Roland Bonaparte, prince Bonaparte, et de la richissime Marie-Félix Blanc (qui meurt un mois après l'accouchement), petite-fille de Pierre-Napoléon Bonaparte, prince Bonaparte (neveu de Napoléon Ier), elle épouse en 1907 le prince Georges de Grèce (1869-1957), second fils du roi Georges Ier.

C'est surtout en raison de ses liens avec Sigmund Freud et la famille de celui-ci qu'elle a laissé une trace dans l'histoire. Elle est l'une des premières psychanalystes françaises et traductrice en français de l'œuvre de Freud. Elle a participé à la création de la première société de psychanalyse en France. Élisabeth Roudinesco raconte l'atmosphère « balzacienne » qui présida à la naissance de Marie. Son père Roland Bonaparte avait épousé Marie-Félix Blanc sur l'instigation de sa mère Nina pour lui assurer un niveau de vie cohérent avec ses ambitions sociales.

Privée de mère, Marie est élevée, les premières années, par une succession de nourrices et un entourage domestique sous la férule de l'autorité tyrannique de sa grand-mère paternelle ; son enfance est également caractérisée par la rareté des apparitions paternelles. Elle reçoit une éducation marquée par de nombreux préjugés et contraintes inculqués par sa terrible grand-mère. En réaction à cette éducation déplorable, elle développe ce qu'elle reconnaîtra plus tard être une névrose qui la pousse à l'introversion, à des jeux langagiers complexes et à des phobies multiples.

Elle reçoit un enseignement de qualité, qui lui permet d'être polyglotte très tôt et de se passionner pour le théâtre. Jeune fille, elle a une première aventure amoureuse, orageuse, avec Antoine Leandri, alors secrétaire de son père, qui aurait tenté de la faire chanter. Elle commence sa vie mondaine en 1905 et souffre de troubles hypocondriaques. Son père tente de la marier selon ses vues mais finalement, en 1906, elle rencontre le roi Georges Ier de Grèce qui favorise un mariage avec son second fils, Georges de Grèce, qui ne s'intéressera jamais à elle en tant que femme.

Certains ont pu dire que la liaison de Marie Bonaparte avec Aristide Briand, pendant la Première Guerre mondiale, aurait pu influencer la politique « grecque » du Président du Conseil, grâce aux nombreuses conversations qu'il a eues avec son mari qui possédait une réelle expérience diplomatique. Elle est « comblée d'honneurs et de célébrité », mais souffre de frigidité. C'est cette difficulté qui oriente ses premières tentatives d'étudier la sexualité. En 1923, Marie Bonaparte lit l'Introduction à la psychanalyse de Sigmund Freud. La même année elle fait connaissance avec René Laforgue, fréquente ses causeries, qui présentaient à un public restreint les premières notions de la psychanalyse.

Parallèlement, elle fréquente les hôpitaux et elle écrit, sous le pseudonyme de A.E. Narjani, un article intitulé « Considérations sur les causes anatomiques de la frigidité chez la femme », dans lequel elle explique la frigidité féminine par une fixation clitoridienne induite par une distance trop grande entre le clitoris et le vagin. Elle appuie sa thèse par la mesure de la distance du clitoris et du méat urétral sur une population de 200 femmes, prises au hasard. Obsédée par son « accomplissement orgasmique », même après son analyse avec Freud, elle ne renoncera jamais à ses convictions et se fera opérer trois fois afin de se faire déplacer le clitoris.

Au sujet du clitoris, elle écrira : « Les hommes se sentent menacés par ce qui aurait une apparence phallique chez la femme, c'est pourquoi ils insistent pour que le clitoris soit enlevé » (Marie Bonaparte, « Notes sur l'excision », Revue française de psychanalyse XII, 1946). En 1925, elle convainc Laforgue d'intercéder auprès de Freud pour que ce dernier la prenne en psychanalyse. Celui-ci est d'abord très réticent ; elle insiste, le rencontre et finit par le convaincre de devenir sa patiente le 30 septembre de cette année. Cette psychanalyse, contrairement aux usages de l'époque, sera très longue puisqu'elle se continuera jusqu'en 1938, au gré des périodes, plus ou moins durables (de deux à six mois), qu'elle passera en Autriche.

Sa psychanalyse personnelle auprès de Freud, son influence mondaine et sociale, les fréquents voyages entre Vienne et Paris vont contribuer à lui donner un rôle d'intermédiaire entre le premier groupe des psychanalystes parisiens et Freud. Cette position est d'ailleurs entérinée par Freud lui-même, qui la dissuade d'entreprendre des études de médecine à 44 ans, et qui lui conseille plutôt de se consacrer au développement de la psychanalyse en France : elle devient sa représentante à Paris.

En 1936, elle achète à un marchand d'objets d'art la correspondance de Freud avec Wilhelm Fliess, mise en vente par sa veuve. Elle refuse de restituer à Freud ces documents : elle pressent que le fondateur de la psychanalyse les aurait détruits comme déjà il l'avait fait, pour ses propres écrits. Elle ne les fera paraître, dans une version expurgée, qu'après la mort de Freud, en 1950, en collaboration avec Anna Freud et Ernst Kris, sous le titre La naissance de la psychanalyse. Elle intervient personnellement, en faisant jouer ses relations sociales et diplomatiques, afin de permettre à Freud et à sa famille de quitter l'Autriche passée sous domination nazie. Elle verse aux nazis une « rançon » de 4 824 dollars, que Freud lui remboursera à son arrivée à Londres. Représentante officieuse de Freud à Paris, Marie Bonaparte joue un rôle institutionnel important et complexe dans le développement de la psychanalyse française.

Le 4 novembre 1926, Marie Bonaparte participe, avec Laforgue et d'autres, à la fondation de la Société Psychanalytique de Paris (SPP). Très vite, elle prend parti dans les premières dissensions qui apparaissent entre les premiers psychanalystes. Elle appuie Laforgue contre Édouard Pichon, dont les positions chauvines le conduisaient à tenir des attitudes très ambivalentes à l'égard de Freud. C'est Laforgue qui deviendra le premier président de la SPP. Elle apporte des fonds indispensables à la création de la première revue de psychanalyse française, la Revue française de psychanalyse (1927), ce qui contribue à asseoir la position de René Laforgue dans le mouvement naissant. Fervente adepte de Freud et analysante du maître, elle intervient dans les débats de la jeune société avec autorité. En 1926, dans l'une de ses lettres à Laforgue, apparaît l'expression, maintes fois répétée plus tard de « Freud pense comme moi » qui contribuera, dans le petit cénacle des psychanalystes parisiens, à la faire surnommer Freud m'a dit !

Marie Bonaparte favorisera la venue à Paris (en 1925) de Rudolph Loewenstein. Elle aidera à le faire naturaliser français en 1930. Elle favorisera également l'arrivée en France des médecins psychanalystes suisses Raymond de Saussure, Charles Odier et Henri Flournoy. Marie Bonaparte a traduit plusieurs textes de Sigmund Freud. Cette dimension de son action pour la psychanalyse ne doit pas être négligée car, avec ces traductions, la question de la formulation des concepts était posée. Cette question cruciale fut abordée très tôt par le groupe français et donna lieu à des débats passionnés. En mai 1927, elle s'allie à Pichon contre Hesnard pour faire traduire par « ça » le « es » allemand.

En 1927, une traduction du Souvenir d'enfance de Léonard de Vinci de Freud paraît sous son nom. C'est un scandale pour son milieu mondain, à tel point que son mari tente de la faire rompre avec Freud. Elle traduit les Cinq psychanalyses en collaboration avec Loewenstein. La plupart de commentateurs s'accordent sur le fait que Marie Bonaparte a joué un rôle important dans l'installation de la psychanalyse en France. Entièrement dévouée à la personne de Freud, ses interventions dans la jeune SPP ont sans doute évité que la psychanalyse française ne s'oriente vers une « psychanalyse à la française » redoutée par Freud et voulue par Édouard Pichon.

Après la guerre, ses interventions dans le mouvement psychanalytique l'opposent à Jacques Lacan, ce qui conduira à la scission du mouvement qu'elle avait contribué à fonder. Première femme psychanalyste française, première psychanalyste profane française, c’est-à-dire non médecin, traductrice française de plusieurs textes freudiens, co-fondatrice de la première société de psychanalystes française qui ne comportait que neuf membres à ses débuts, Marie Bonaparte a œuvré inlassablement pour ce mouvement naissant. On peut donc la considérer comme une pionnière de la psychanalyse. Cependant, ses ouvrages théoriques sont décevants et, de ce point de vue, elle n'a laissé que peu de traces.

Publié dans Scientifiques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article