Baudrillart Alfred
Alfred Henri Baudrillart, né le 6 janvier 1859 à Paris et mort le 19 mai 1942 dans la même ville, est un cardinal français, universitaire, historien, recteur de l’Institut catholique de Paris, écrivain, membre de l'Académie française.
Petit-fils de l'agronome Jacques Joseph Baudrillart, il est le fils de l'économiste Henri Baudrillart, et, allié à la famille de Sacy par sa mère, petit-fils de l'illustre orientaliste Silvestre de Sacy. Condisciple de Jean Jaurès, d'Émile Durkheim et d'Henri Bergson à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm (promotion 1878), il est agrégé d’histoire en 1881 et docteur ès lettres et en théologie. D'abord professeur au lycée de Laval, au lycée de Caen, puis au collège Stanislas à Paris, il entre dans les ordres et rejoint la congrégation de l’Oratoire (oratoriens). Il est ordonné prêtre en 1893. Historien de formation, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont une monumentale histoire de Philippe V et la Cour de France. Professeur à l'Institut catholique de Paris, il succède à Mgr d'Hulst en 1907 et devient recteur de cet établissement d’enseignement supérieur catholique auquel il va consacrer toute son énergie au cours de sa vie. Fondateur des Amitiés catholiques françaises, il participe pendant la Première Guerre mondiale à une importante tournée de propagande en Amérique. Fortement belliciste, il écrit notamment en août 1914, à propos de la guerre qui vient d'éclater (et qui allait faire plus de 18 millions de morts) :
« Je pense que, en dépit des sacrifices et des douleurs sur quoi il n’y a point lieu de s’étendre – tous nous en sentons l’amertume – ces événements sont fort heureux. Laissez-moi vous dire que, pour mon humble part, il y a quarante-quatre ans que je les attends. (...) Jamais, à aucun moment et sous aucun prétexte, je n’ai donné dans l’illusion pacifiste ; jamais je n’ai cru que la France pût retrouver son rang parmi les nations autrement que par la reprise - et la reprise par les armes – de l’Alsace-Lorraine. (...) La France se refait et, selon moi, elle ne pouvait pas se refaire autrement que par la guerre qui la purifie et qui l’unit. (...) ... parmi ces frères qui auront livré ensemble le glorieux et décisif combat, il n’y aura plus ce qu’on appelle d’un nom odieux les ennemis de l’intérieur, plus de parias. Que Dieu nous donne la victoire féconde ! »
Il se plaindra, après guerre, qu'on ait ensuite à maintes reprises cité de manière tronquée - en réduisant à cinq lignes un texte qui en faisait soixante-dix - sa lettre au Petit Parisien, en particulier sans en reproduire la fin. Le Saint-Siège reconnaît son zèle et le nomme évêque titulaire d'Himeria en 1921, puis archevêque de Mélitène. En 1929, il consacre Ange-Marie Hiral évêque titulaire de Sululos (Tunisie) et vicaire apostolique du canal de Suez. Pie XI, qui l'apprécie particulièrement, le crée cardinal en 1935. C'est le doyen des six cardinaux français qui participent au conclave de 1939, à l'issue duquel Pie XII est élu. Il est élu membre de l'Académie française en 1918 et nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1920, officier en 1931 et commandeur en 1935. Proche des milieux politiques et naturellement religieux pendant toute sa vie, remarquablement informé et interlocuteur apprécié des politiques, des militaires et des diplomates, entre autres du président Raymond Poincaré, du maréchal Foch et d'Aristide Briand, il note scrupuleusement dans ses carnets (commencés le 2 août 1914 et rédigés tous les jours sans aucune interruption jusqu’à son décès) ses déplacements et toutes ses rencontres comme ses activités religieuses et universitaires. Ce témoignage constitue un document historique et religieux exceptionnel sur la période cruciale que connut l'Europe entre 1914 et 1942.
Le cardinal Baudrillart avait conspué le régime de Hitler, notamment lors de son discours de rentrée de l'Institut catholique en novembre 1939, comme étant païen et inhumain ([le nazisme est une] « barbarie renouvelée du paganisme »), dans la ligne de l'encyclique Mit brennender Sorge publiée en mars 1937 par Pie XI. Mais il était aussi, depuis longtemps, hanté par la peur du bolchevisme, au point d'avoir, en 1930, organisé avec Henry Bordeaux un concours de romans sur le sujet. Il confiera en 1936 que cette opération était une commande de Pie XI lui-même. En 1940, à 81 ans, cette hantise du communisme le fait basculer dans l'approbation du régime de Vichy, après la défaite subie lors de la bataille de France. Il soutient Pétain « qui regarde la réalité en face » et, influencé par des lectures d'Abel Bonnard et d'Alphonse de Châteaubriant, il penche en faveur de la collaboration avec l'occupant dès le mois de juin. Jugeant en juillet, après Mers el-Kébir, la conduite de Churchill « odieuse », il invite publiquement, en novembre, les Français à suivre Pétain, après le discours de celui-ci, radiodiffusé le 30 octobre, en faveur de la collaboration.
Il est membre du comité d'honneur du groupe Collaboration. Selon Philippe Valode, il adhère au Parti populaire français du fasciste Doriot. En 1941, il apporte tout son soutien à la création de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, déclarant « Comme prêtre et comme Français, j'oserai dire que les Légionnaires de la Croisade antibolchevique se rangent parmi les meilleurs fils de France. Placée à la pointe du combat définitif, notre Légion est l’illustration agissante de la France du Moyen Age, de notre France des cathédrales ressuscitées et je dis, parce que j'en suis sûr, que ces soldats contribuent à préparer la grande renaissance française. En vérité, cette Légion constitue à sa manière une chevalerie nouvelle. Ces légionnaires sont les croisés du XXe siècle. Que leurs armes soient bénies ! Le tombeau du Christ sera délivré. » Il apparaît, début décembre, en tête des membres du comité de patronage de la LVF. Pétain avait fini par dire de lui (recevant une délégation d'étudiants de l'Institut catholique) : « Je l'aime beaucoup. Il est si spirituel ! Mais on me dit qu'il se laisse entraîner plus loin qu'il ne faudrait. » Le cardinal meurt quasi aveugle, à Paris, dans la nuit du 18 au 19 mai 1942, à l'âge de 83 ans. Son éloge funèbre est prononcé à l'Académie française, le 21 mai, par Paul Hazard; il est enterré à la chapelle des Carmes de l'Institut catholique le 23 mai. En rappelant la mémoire des otages fusillés par les Allemands le 22 octobre 1941, l'écrivain catholique Paul Claudel proteste, dans une lettre adressée quelques jours plus tard au cardinal Gerlier, contre les honneurs solennels qui lui ont été rendus à Notre-Dame : « Pour l'émule de Cauchon, l’Église de France n'a pas eu assez d'encens. Pour les Français immolés, pas une prière, pas un geste de charité ou d'indignation ».
Publications
- Le Catholicisme en France et les élites intellectuelles, Les Amitiés catholiques françaises, 1900.
- Les Carnets du cardinal Baudrillart, Le Cerf, 9 volumes (environ 10 000 pages), 1998-2003.
- Léon Lefevre, Morel, 1902.
- L'Église catholique la Renaissance le protestantisme, Paris, Bloud, 1905.
- Frédéric Ozanam, Paris, Bloud, 1912.
- Vie de Mgr d'Hulst, Gigord, 1912.
- L'Allemagne et les alliés devant la conscience chrétienne, publication du Comité catholique de propagande française à l'étranger, Bloud et Gay, 1915.
- La Guerre allemande et le catholicisme, Bloud et Gay, 1915.
- La France, les catholiques et la guerre. Réponse à quelques objections, Paris, Bloud et Gay, coll. « Pages actuelles », 1917.
- L'effort canadien. Bloud et Gay, coll. « L'hommage français », 1917.
- Éloge de Albert de Mun, Institut de France, 1919.
- Lettres d'un Pèlerin, Athènes, Beyrouth, Smyrne, Lib. Bloud & Gay, 1924.
- La Vocation catholique de la France et sa fidélité au Saint-Siège à travers les âges, Spes, 1928.
- La Conquête religieuse de l'Algérie, 1830-1845, Plon, 1930.
- Nos grandes écoles. L'Institut catholique, 1930.
- À la jeunesse, Conseils d'hier et d'aujourd'hui, Paris, De Gigord, 1932.
- Vingt-cinq ans de rectorat. L'Institut catholique de Paris, 1907-1932, Paris, De Gigord, 1932.
- Vocation de la France, Flammarion, 1934.
- La Grande et Belle Histoire de la première croisade, Calmann-Levy, 1935.
- Soyons prêts !, Flammarion, 1937.
- Le testament politique d'un prince de l'église, préface d'Abel Bonnard, Inter-France, 1940.